POUR OU CONTRE L’IMMUNITE PARLEMENTAIRE ?
(Alain Anziani, Sénateur)
Mercredi, une majorité de membres du bureau du Sénat, précisément treize d’entre eux contre douze et une abstention, a décidé de ne pas lever l’immunité parlementaire de Serge Dassault.
Ce refus a provoqué une onde de choc aisément compréhensible. Il a également déclenché des vagues de délations. Qui donc à gauche a voté avec la droite pour protéger Serge Dassault ?
Les réseaux sociaux ont la justice expéditive. Des internautes qui ne vous connaissent pas, ne cherchent pas à vous connaître, à regarder, par exemple, si vous êtes pour ou contre l’immunité parlementaire, portent sur vous des jugements remplis de certitude. Le raisonnement se contente de simples juxtapositions : Alain ANZIANI est un élu de Mérignac, à Mérignac, il y a une usine DASSAULT, donc, Alain ANZIANI est suspect, et même comme j’ai pu le lire le suspect n°1. Qu’importe les témoignages qui montrent mon engagement en faveur de la levée de l’immunité… Des centaines de tweets et de mails, des articles avec ma photo dans la presse numérique sont lancés dans les airs … Ce scandale dans le scandale méritait bien ce petit commentaire.
L’essentiel est ailleurs. Disons-le nettement : l’immunité dont bénéficient les parlementaires est un archaïsme qu’il convient de supprimer. Dès septembre dernier, dans un article publié par la revue « Pouvoirs », je faisais observer qu’ « un Parlement rénové devrait supprimer l’immunité dès lors que l’acte concerné n’a pas un lien strict avec l’exercice du mandat parlementaire ou avec la liberté d’expression. »
Dans notre état de droit, rien ne justifie le maintien de l’immunité parlementaire. Historiquement, cette dernière avait pour but d’assurer l’indépendance du parlementaire, menacée par un régime dictatorial. Aujourd’hui, comment expliquer qu’un élu, soupçonné d’un trafic d’influence ou d’un détournement de fonds, dispose d’une protection différente du citoyen ordinaire ?
Jusqu’ici, le Sénat l’avait bien compris en levant l’immunité de Gaston Flosse, de Robert Navarro, ou de Jean Noël Guérini. Il examinait si la demande était « sérieuse, loyale, et sincère ». Sans préjuger de la culpabilité ou l’innocence. Ni se substituer au juge pour apprécier les mesures à prendre.
Hier, une majorité a pensé devoir prendre une position inverse sans qu’aucun motif évident de droit ou de fait permette d’expliquer cette différence de traitement. En particulier, la demande de mise en garde à vue, formulée par les juges d’instruction, était appuyée par des magistrats du Parquet dont l’indépendance à l’égard du pouvoir en place est admise par tous.
Cette étrange majorité du Sénat donne ainsi le triste sentiment de vouloir placer un obstacle corporatiste entre la Justice et un parlementaire. Ou pour parler plus directement d’entraver le travail de la justice.
Elle n’a pas perçu qu’elle commettait une faute majeure contre le Sénat dont la suppression vient d’être demandée par Marine Le Pen et contre les parlementaires accusés d’organiser leur propre justice.